Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/42

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plumes blanches et rouges, qui s’accrochait, quelquefois, en tombant, à la pointe balancée d’un syringa. Et nous nous embrassions souvent. Je la comprenais, elle me comprenait. Nous lisions dans nos regards, dans nos cœurs, comme dans un livre familier, ce grand livre d’images que sa mère nous expliquait au milieu des admirations et des rires. Alors elle était faite du même esprit que moi, de la même chair que moi, esprit plus fin, chair plus délicate, voilà tout. Je l’ai suivie toujours, ému et charmé. Plus tard, la communion de nos rêves et de nos pensées devint plus intime, plus profonde, plus intellectuelle, au point qu’il nous semblait qu’un seul esprit nous animait tous les deux. Nos sensibilités étaient les mêmes ; les mêmes, nos enthousiasmes. Nous aimions les mêmes livres, la même musique, la même peinture, les mêmes pauvres. Dans la vie, dans l’art et dans la souffrance, il n’était pas un fait, pas un rêve, pas une larme, il n’était rien qui ne nous affectât pareillement… du moins je le croyais… Après tout, il ne s’est peut-être rien passé de ces choses, au souvenir desquelles je me complais. Je les ai ressenties, alors, oui ; mais, qui me dit qu’elles existassent réellement ? N’ai-je pas pu les créer dans mon imagination, et dans mon imagination seule ? Les impressions, les sentiments dont je la parais, et