Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/44

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— Ah ! ben, dans ce cas, bon voyage !… Mais ne réveillez pas les merles, ce sont des oiseaux moqueurs.

Et, d’un coup de reins, raffermissant sur ses épaules le paquet de bruyères et de fougères coupées, il continua sa route. Je crus entendre un ricanement s’en aller sous les branches. Et la lune se leva, derrière les arbres, majestueuse et rose, traversée, dans son milieu, par une mince baguette de châtaignier.

— Regarde, dis-je à ma femme, comme la lune est rose !

Claire examina, d’un clin d’œil furtif, l’astre errant et splendide qui se balançait dans le firmamental espace.

— Rose ?… La lune ?… Tu es fou, dit-elle. Qui donc a jamais vu une lune rose ?

— Regarde ! répétai-je.

Elle haussa les épaules et me demanda :

— Pourquoi veux-tu que la lune soit rose ?… Pourquoi dis-tu qu’elle est rose ?

— Mais, ma chère âme, parce que je la vois ainsi.

Sa voix prit un accent bref :

— Quoi, tu prétends encore que la lune est rose ?

Stupidement, je m’entêtai. Stupidement, ah ! certes. Que m’importait, je vous le demande, que la lune fût rose, bleue ou jaune,