Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mornes espaces de landes, coupés de hauts talus et de murailles de pierre grise, et, là-bas, dans le ciel brumeux, le clocher de Pluneret, et plus loin, le clocher de Sainte-Anne, lesquels semblent les deux piles d’un immense pont aérien.

De même que tous les nobles Bretons, mon hôte est d’une noblesse immémoriale. Il descend du roi Gradlon. Le roi Conan était de sa famille. Il eut des aïeux qui s’immortalisèrent au combat des Trente. Naturellement, sous la Révolution, tous les siens furent capturés à Quiberon, fusillés dans les marais de Tréauray appelés depuis champ des martyrs ; et l’on peut voir, dans l’ossuaire de la chartreuse d’Auray, d’énormes crânes et de mastodontesques fémurs, qui appartinrent à ses glorieux ancêtres.

Au moment où je pénétrai dans la cour, par association d’idées facile à expliquer, je me souvins qu’un jour, à la sortie de la gare de Quimper, je fus abordé par une sorte de mendiant très guenilleux, qui me dit, en désignant un vieillard plus guenilleux que lui, à la poitrine duquel pendait une médaille de commissionnaire, aussi large qu’un bouclier :

— Donnez donc votre valise à ce vieux-là… C’est le marquis de T… Ses aïeux étaient au combat des Trente…

— Et vous ? dis-je.