Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/61

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cette légende : « Saint Corentin inculquant le don de la langue bretonne, par une seule imposition de sa main sur la bouche des étrangers ».

— Buvez donc, cria mon hôte. Sacristi, mon cher, en Bretagne, on est d’attaque. Les verres pleins n’ont jamais traîné… Allons !… Le Pape d’abord… ensuite le Roi… Et puis… D’un trait il avala le contenu de son verre.

— Et puis, le vermouth !… acheva-t-il, en claquant de la langue… Voilà notre devise… Autrefois, après une belle orgie, quand l’un de nous mourait, on disait : « Mort au champ d’honneur ! » À présent… Beuh !… il ne meurt plus personne… Quelle sale époque !… mais le dernier mot n’est pas dit…

Et, avec un geste terrible, il me montra deux fusils, deux antiques flingots à pierre, rongés par la rouille, et qui pendaient à des clous, le long de la boiserie.

— Ils reverront les bleus, allez, ces petits joujoux-là !

Alors, il me raconta, non sans orgueil, que son père, commandant une bande de réfractaires, sous Louis-Philippe, arrêtait les diligences sur les grandes routes, volait l’argent du gouvernement, tuait les gendarmes. Il en avait occis quatorze, sans compter des conducteurs malappris et des voyageurs récalcitrants.