Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/165

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dort, près de moi, d’un sommeil calme et profond d’enfant. Et pour la première fois, la possession ne me laisse aucun regret, aucun dégoût ; pour la première fois, je puis, le cœur attendri et reconnaissant, la chair encore vibrante de désirs, regarder une femme qui vient de se donner à moi. Exprimer mes sensations, je ne le saurais. Ce que j’éprouve, c’est quelque chose d’indéfinissable, quelque chose de très doux, de très grave aussi et de très religieux, une sorte d’extase eucharistique, semblable à celle où me ravit ma première communion. Je retrouve le même mystique enivrement, la même terreur auguste et sacrée ; c’est dans une éblouissante clarté de mon âme, une seconde révélation de Dieu… Il me semble que Dieu est descendu en moi, pour la deuxième fois… Elle dort, dans le silence de la chambre, la bouche à demi entr’ouverte, la narine immobile, elle dort d’un sommeil si léger, que je n’entends pas le souffle de sa respiration… Une fleur, sur la cheminée, est là qui se fane, et je perçois le soupir de son parfum mourant… De Juliette, je n’entends rien ; elle dort, elle respire, elle est vivante, et je n’entends rien… Doucement, plus près, je me penche, l’effleurant presque de mes lèvres, et, tout bas, je l’appelle.

— Juliette !

Juliette ne bouge pas. Mais je sens son haleine plus faible que l’haleine de la fleur, son haleine toujours si fraîche, où se mêle en ce moment, comme une petite chaleur fade, son haleine toujours si odorante, où