Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/176

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un crime que de chercher un peu de bonheur ?… Juliette n’est pas la femme que vous pensez… on l’a odieusement calomniée… Elle est bonne, honnête… Oh ! ne souriez pas… oui, honnête !… Elle a des naïvetés d’enfant qui vous attendriraient, Lirat… Vous ne l’aimez point, parce que vous ne la connaissez pas !… Si vous saviez toutes les gentillesses, toutes les prévenances de brave femme qu’elle a pour moi !… Juliette veut que je travaille… Elle a la fierté de ce que je pourrai créer de bon… Tenez, c’est elle qui m’a forcé à venir vous voir… moi, j’avais honte, je n’osais pas… C’est elle !… Oui, Lirat ; ayez un peu pitié d’elle… Aimez-la un peu, je vous en supplie !

Lirat était devenu grave. Il mit sa main sur mon épaule, et me regardant tristement :

— Mon pauvre enfant ! me dit-il d’une voix émue… Pourquoi me dites-vous tout cela ?

— Mais, parce que c’est la vérité, mon cher Lirat !… parce que je vous aime et que je veux rester votre ami… Prouvez-moi que vous êtes toujours mon ami !… Tenez, venez dîner ce soir, chez nous, comme autrefois chez moi ? Oh ! je vous en prie, venez !

— Non ! fit-il.

Et ce non était impitoyable, définitif, bref ainsi qu’un coup de pistolet.

Lirat ajouta :

— Venez, vous, souvent !… Et quand vous aurez envie de pleurer… vous savez… le divan est là… Les larmes des pauvres diables, ça le connaît…