Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bri son visage, se dissipa… Au milieu des étoffes, des dentelles, parmi les plumes et les fanfreluches, elle se trouvait vraiment dans son élément, s’épanouissait, resplendissait. Ses doigts passionnés éprouvaient des jouissances physiques à courir sur les satins, à toucher les crêpes, à caresser les velours, à se perdre dans les flots laiteux des fines batistes. Le moindre bout de soie, à la façon dont elle le chiffonnait, revêtait aussitôt un joli air de chose vivante ; des soutaches et des passementeries, elle savait tirer les plus exquises musiques. Quoique je fusse très inquiet de toutes ces fantaisies ruineuses, je ne pouvais rien refuser à Juliette, et je me laissais aller au bonheur de la savoir si heureuse, au charme de la voir si charmante, elle dont la beauté embellissait les objets inertes autour d’elle, elle qui animait tout ce qu’elle touchait d’une vie de grâce !

Pendant plus d’un mois, tous les soirs, on apporta chez nous des paquets, des cartons, des gaines étranges… Et les robes succédaient aux robes, les chapeaux aux manteaux. Les ombrelles, les chemises brodées, les plus extravagantes lingeries s’entassaient, s’amoncelaient, débordaient des tiroirs, des placards, des armoires.

— Tu comprends, mon chéri, m’expliquait Juliette, surprenant dans mes regards un étonnement ; tu comprends… je n’avais plus rien… Ça, c’est un fonds… Je n’aurai maintenant qu’à l’entretenir… Oh ! ne crains rien, va ! Je suis très économe… Ainsi, re-