Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/207

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— Sans doute… Plus tard ! je te promets… Viens !

— Ah ! fit Juliette simplement.

Je la regardai, le pli de son front me terrifia ; je vis passer en ses yeux une flamme sombre… Et, dans l’espace d’une seconde, tout un monde de sensations extraordinaires, et non encore éprouvées, m’envahit. Très nettement, avec une lucidité parfaite, avec un implacable sang-froid, avec une concision de jugement foudroyante, je me posai cette double question : « Juliette et le déshonneur ; Juliette et la prison ? » Je n’hésitai pas.

— Entrons, dis-je.

Elle emporta le collier.

Le soir, parée de ses perles, elle s’assit sur mes genoux, radieuse, et, les bras noués autour de mon cou, elle resta longtemps à me bercer de sa douce voix.

— Ah ! mon pauvre chéri, disait-elle… Je n’ai pas toujours été sage !… Oui, je me rends compte… je suis un peu folle quelquefois… Mais c’est fini maintenant !… Je veux être une femme bonne, sérieuse… Et puis, tu travailleras bien… tu feras un beau roman, une belle pièce de théâtre… Et puis nous serons riches, très riches… Et puis, quand tu seras trop gêné, nous vendrons le beau collier !… Parce que les bijoux, c’est pas comme les robes ; c’est de l’argent, les bijoux… Embrasse-moi fort…

Ah ! comme elle s’envola vite, cette nuit-là ? Comme les heures s’enfuirent, effarées sans doute d’entendre hurler l’amour avec la voix maudite des damnés.