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des flots, la plainte des avrilleaux et des courlis.

Le Port d’Audierne vers 1900, par Henri Moret

C’est là que tous les jours je viens… Qu’il vente, qu’il pleuve, que la mer hurle ou bien qu’elle chante, qu’elle soit claire ou sombre, je viens là… Ce n’est pas cependant que ces spectacles m’attendrissent et qu’ils m’impressionnent, que je reçoive de cette nature horrible et charmante une consolation. Cette nature, je la hais ; je hais la mer, je hais le ciel, le nuage qui passe, le vent qui souffle, l’oiseau qui tournoie dans l’air ; je hais tout ce qui m’entoure, et tout ce que je vois, et tout ce que j’entends. Je viens là, par habitude, poussé par l’instinct des bêtes qui les ramène à l’endroit familier. Comme le lièvre, j’ai creusé mon gîte sur ce sable et j’y reviens… Sur le sable ou sur la mousse, à l’ombre des forêts, au fond des trous, ou au grand soleil des grèves solitaires, il n’importe !… Où donc l’homme qui souffre pourrait-il trouver un abri ?… Où donc est la voix qui apaise ! Où donc la pitié qui sèche les yeux qui pleurent ?… Ah ! je les connais, les aubes chastes, les gais midis, les soirs pensifs et les nuits étoilées !… Les lointains où l’âme se dilate, où les douleurs se fondent. Ah ! je les connais !… Au delà de cette ligne d’horizon, au delà de cette mer, n’y a-t-il pas des pays comme les autres !… N’y a-t-il pas des hommes, des arbres, des bruits ?… Nulle part le repos, et nulle part le silence !… Mourir !… mais qui me dit que la pensée de Juliette ne viendra pas se mêler aux vers pour me dévorer ?… Un jour de tempête, j’ai vu la mort, face à face, et je l’ai suppliée. Mais elle s’est