Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/255

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sur mes lèvres. Elle était vraiment touchante. Lorsque, le matin, je descendais, je la trouvais, le ménage fait, en train de tricoter des bas ou de travailler à des filets, vive, alerte, presque jolie sous sa coiffe plate, son châle noir court, et son tablier de serge verte…

— Nostre Mintié, s’écriait-elle, j’vas vous fricasser de bonnes coquilles de Saint-Jacques, pour votre souper… Si vous aimez mieux une bonne soupe au congre, je vous ferai une bonne soupe au congre…

— Comme vous voudrez, mère Le Gannec !

— Mais vous dites toujours la même chose… Ah ! bé, Jésus !… Nostre Lirat n’était point comme vous : « Mère Le Gannec, je veux des palourdes… mère Le Gannec, je veux des bigorneaux… » Ah ! dame, on lui en donnait des palourdes et des bigorneaux ! Et puis, il n’était point triste comme vous êtes !… Ah ! dame, non !

Et la mère Le Gannec me contait des histoires de Lirat, qui avait passé chez elle tout un automne…

— Et dégourdi ! et intrépide !… Par la pluie, par le vent, il s’en allait « prendre des vues »… Ça ne lui faisait rien… Il rentrait trempé jusqu’aux os, mais toujours gai, toujours chantant !… Fallait voir aussi comme il mangeait, lui ! Il aurait dévoré la mer, le mâtin !

Parfois, pour me distraire, elle me faisait le récit de ses malheurs, simplement, sans se plaindre, répétant avec une sublime résignation :

— Ce que le bon Dieu veut, il faut bien le vouloir… Quand on serait là, à pleurer tout le temps, ça n’avance point les affaires.