Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/257

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vu la Marie-Joseph, donc ? — Non, la patronne. — Comment que ça se fait qu’elle n’est point rentrée ? — Je ne sais pas. — N’y serait-il point arrivé un malheur ? — Dame, ça se peut bien, la patronne ! » Et en disant cela, ils se signaient… Alors, j’ai brûlé trois cierges à la Notre-Dame du Bon-Voyage !… Enfin, un jour, ils revinrent, tous les trois, dans une grande charrette, noirs, gonflés, à moitié mangés par les cancres et les étoiles de mer… Morts, quoi… Morts, nostre Mintié, tous les trois, mon homme et mes deux jolis gars… Le gardien du phare de Penmarc’h les avait trouvés roulés dans les rochers.

Je n’écoutais pas et pensais à Juliette… Où est-elle ?… Que fait-elle ?… Éternelles questions !

La mère Le Gannec continuait :

— Je ne connais pas vos affaires, nostre Mintié, et je ne sais pas de quoi vous êtes malheureux !… Mais vous n’avez point perdu, d’un coup, votre homme et vos deux gars, vous !… Et si je ne pleure pas, nostre Mintié, ça ne m’empêche pas d’avoir du chagrin, allez !

Et si le vent sifflait, si la mer, au loin, grondait, elle ajoutait, d’une voix grave :

— Sainte Vierge ! ayez pitié de nos pauvres enfants, là-bas, sur la mer…

Moi, je songeais :

— Elle s’habille peut-être… Peut-être dort-elle encore, lassée de sa nuit !

Je sortais, traversais le village, allais m’asseoir sur une borne de la route de Quimper, au bas d’une lon-