Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/273

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— Nous avons le temps de songer à cela, ma chérie, dans trois mois, quand nous rentrerons à Paris…

— Dans trois mois… Mais, mon pauvre mignon, je repars dans huit jours… Ça m’ennuie tant !

— Reste, ma petite Juliette, je t’en supplie, reste tout à fait… plus longtemps… quinze jours !

— C’est impossible, tu comprends… Oh ! ne sois pas triste, mon chéri… Ne pleure pas… parce que, si tu pleures, je ne te dirai pas une chose, une belle chose.

Elle se fit plus tendre encore, se pelotonna contre moi, et reprit :

— Écoute-moi bien, mon chéri… Je n’ai qu’une pensée, une seule pensée, vivre avec toi !… Nous quitterons Paris, nous nous en irons dans une petite maison, si bien cachés, vois-tu, que personne ne saura plus si nous existons… Seulement, il nous faut vingt mille francs de rente.

— Où donc veux-tu que je les prenne maintenant ? m’écriai-je découragé.

— Écoute-moi donc ! poursuivit Juliette… Il nous faut vingt mille francs de rente… Oh ! j’ai tout calculé !… Eh bien, dans six mois, nous les aurons…

Juliette me regarda d’un air mystérieux… elle répéta :

— Nous les aurons !…

— Je t’en supplie, ma chérie, ne parle pas ainsi… Tu ne sais pas le mal que tu me fais…

Juliette éleva la voix ; le pli de son front devint dur :