Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/309

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sien ?… Qu’importe !… C’était un homme aussi, un homme comme moi, meilleur que moi… De son existence dépendaient des existences faibles de femmes et d’enfants ; quelque part des créatures angoissées priaient pour lui, l’attendaient ; il y avait peut-être en cette puissante jeunesse, dans ces reins robustes, des germes de vies supérieures que l’humanité espérait ! Et d’un coup de fusil imbécile et peureux, j’avais détruit tout cela… Maintenant, voilà que je tuais un chien !… et que je le tuais alors qu’il venait à moi, et qu’il essayait, avec ses petites pattes, de grimper sur mes genoux !… J’étais donc véritablement un assassin !… Ce petit cadavre me poursuivait ; toujours je voyais cette tête hideusement écrasée, le sang giclant sur les étoffes claires de la chambre, et le lit, taché de sang ineffaçablement !…

Ce qui me tourmentait aussi, c’était de penser que Juliette ne me pardonnerait jamais la perte de Spy. Elle devait avoir horreur de moi… Je lui écrivis des lettres repentantes, l’assurant que désormais j’accepterais d’elle tout ce qu’elle voudrait, que je ne me plaindrais pas, que je ne lui adresserais plus de reproches sur sa conduite ; des lettres si humiliées, si basses, d’une soumission si vile, qu’une autre que Juliette eût eu, en les lisant, le cœur soulevé de dégoût… Je les faisais porter par un commissionnaire dont je guettais le retour, anxieux, au coin de la rue de Balzac.

— Il n’y a pas de réponse !