Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/67

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bonhomme qui conduisait une voiture à âne au fond de laquelle, dans la paille, au milieu de paquets noués avec des mouchoirs, de carottes et de choux, grouillaient une paysanne à nez camus, deux porcs roses et des couples de volaille, liés par les pattes.

— Vous avez donc les Prussiens chez vous ? demandai-je.

— Oh ! les brigands ! répondit le vieux… N’m’en parlez point !… Y sont arrivés un matin, eune bande avé des chapiaux à plume… Ils ont fait un vacarme ! Oh ! Jésus-Guieu ! Et pis y prenaient tout… D’abord j’ons cru qu’c’étaient les Prussiens… J’ons su d’pis que c’étaient des francs-tireux…

— Mais les Prussiens ?

— Les Prussiens !… Pour ce qui est des Prussiens, j’ons point cor vu d’Prussiens, censément… Y doivent être cheuz nous, à c’te heure, t’nez !… La Jacqueline crait qu’all en a évu un, l’aut’jou, d’rière eune hae !… Il était haut, haut, et pis rouge, qué disait, rouge comme l’diable… C’est donc des enragés, des sauvages, des r’venants ?… Enfin, quoi qu’c’est au juste ?

— Ce sont des Allemands, bonhomme, comme nous nous sommes des Français.

— Des Armands ?… J’entends ben… Mais quoi qui nous v’laut, ces sacrés Armands-là, dites, mossieu l’militaire ?… J’ons tout d’même ensauvé nos deux cochons, et nout’fille, et pis d’la volaille itout… Bédame !

Et le paysan continua son chemin, en se répétant :