Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/121

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liquéfiée, les poumons congestionnés, ils buvaient des boissons glacées que leur préparaient des boys, lesquels, par la couleur de la peau et la structure du corps, rappelaient les naïfs bonshommes en pain d’épice de nos foires parisiennes, tandis que d’autres boys, de même ton et de même gabarit, éloignaient d’eux, à grands coups d’éventail, les moustiques.

Quant à moi, je retrouvai — un peu trop vite, peut-être, — toute ma gaieté, et même toute ma verve blagueuse. Mes scrupules s’étaient évanouis ; je ne me sentais plus en mal de poésie. Débarrassé de mes soucis, sûr de l’avenir, je redevins l’homme que j’étais en quittant Marseille, le Parisien stupide et frondeur « à qui on ne la fait pas », le boulevardier « qui ne s’en laisse pas conter », et qui sait dire son fait à la nature… même des Tropiques !…

Colombo me parut une ville assommante, ridicule, sans pittoresque et sans mystère. Moitié protestante, moitié bouddhiste, abrutie comme un bonze et renfrognée comme un pasteur, avec quelle joie je me félicitai, intérieurement, d’avoir, par miracle, échappé à l’ennui profond que ses rues droites, son