Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/309

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Sa pâleur, ses lèvres exsangues et sa voix qui était comme un râle, me firent peur… Je crus qu’elle allait mourir… Effaré, j’appelai à mon aide la Chinoise :

— Vite !… vite ! Clara meurt ! Clara meurt !…

Mais, ayant écarté les rideaux et montré sa face de chimère, Ki-Paï haussa les épaules, et elle s’écria brutalement :

— Ça n’est rien… C’est toujours comme ça, chaque fois qu’elle revient de là-bas.

Et, maugréant, elle retourna à sa godille.

Sous la poussée nerveuse de Ki-Paï, la barque soulevée glissa plus vite sur le fleuve. Nous croisâmes des sampangs pareils au nôtre et d’où partaient, sous les baldaquins aux rideaux fermés, des chants, des bruits de baisers, des rires, des râles d’amour, qui se mêlaient au clapotis de l’eau et à des sonorités lointaines, comme étouffées, de tam-tams et de gongs… En quelques minutes, nous eûmes atteint l’autre rive, et, longtemps encore, nous longeâmes des pontons noirs et déserts, des pontons allumés et pleins de foule, bouges populaciers, maisons de thé pour les portefaix, bateaux de fleurs pour les matelots et la racaille du port. À peine si,