Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/118

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Après que nous eûmes siroté un petit verre de noyau, le capitaine Mauger voulut me faire les honneurs du jardin… Rose s’excusa de ne pouvoir nous accompagner, à cause de son asthme, et nous recommanda de ne pas nous attarder trop longtemps…

— D’ailleurs, fit-elle, en plaisantant… je vous surveille…

Le capitaine m’emmena à travers des allées, des carrés bordés de buis, des plates-bandes remplies de fleurs. Il me nommait les plus belles, remarquant chaque fois qu’il n’y en avait pas de pareilles, chez ce cochon de Lanlaire… Tout à coup, il cueillit une petite fleur orangée, bizarre et charmante, en fit tourner la tige doucement dans ses doigts, et il me demanda :

— En avez-vous mangé ?…

Je fus tellement surprise par cette question saugrenue, que je restai bouche close. Le capitaine affirma :

— Moi, j’en ai mangé… C’est parfait de goût… J’ai mangé de toutes les fleurs qui sont ici… Il y en a de bonnes… il y en a de moins bonnes… il y en a qui ne valent pas grand’chose… D’abord, moi, je mange de tout…

Il cligna de l’œil, claqua de la langue, se tapa sur le ventre, et répéta d’une voix plus forte, où dominait l’accent d’un défi :

— Je mange de tout, moi !…

La façon dont le capitaine venait de proclamer