Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/12

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nulle part, faut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant !… C’est à ne pas croire.

L’affaire s’est traitée par l’intermédiaire des Petites Annonces du Figaro et sans que je voie Madame. Nous nous sommes écrit des lettres, ç’a été tout : moyen chanceux où l’on a souvent, de part et d’autre, des surprises. Les lettres de Madame sont bien écrites, ça c’est vrai. Mais elles révèlent un caractère tatillon et méticuleux… Ah ! il lui en faut des explications et des commentaires, et des pourquoi, et des parce que… Je ne sais si Madame est avare ; en tout cas, elle ne se fend guère pour son papier à lettres… Il est acheté au Louvre… Moi qui ne suis pas riche, j’ai plus de coquetterie… J’écris sur du papier parfumé à la peau d’Espagne, du beau papier, tantôt rose, tantôt bleu pâle, que j’ai collectionné chez mes anciennes maîtresses… Il y en a même sur lequel sont gravées des couronnes de comtesse… Ça a dû lui en boucher un coin.

Enfin, me voilà en Normandie, au Mesnil-Roy. La propriété de Madame, qui n’est pas loin du pays, s’appelle le Prieuré… C’est à peu près tout ce que je sais de l’endroit où, désormais, je vais vivre…


Je ne suis pas sans inquiétudes ni sans regrets d’être venue, à la suite d’un coup de tête, m’ensevelir dans ce fond perdu de province. Ce que j’en ai aperçu m’effraie un peu, et je me demande