Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/133

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sait, jusque dans le tréfonds, l’âme si compliquée des femmes… Et bien des fois, j’avais eu l’idée de lui écrire, afin de lui soumettre ce cas de psychologie passionnelle… Je n’avais pas osé… Ne vous étonnez pas trop de la gravité de telles préoccupations. Elles ne sont point coutumières aux domestiques, j’en conviens. Mais, dans les salons de la comtesse, on ne parlait jamais que de psychologie… C’est un fait reconnu que notre esprit se modèle sur celui de nos maîtres, et ce qui se dit au salon se dit également à l’office. Le malheur était que nous n’eussions pas à l’office un Paul Bourget, capable d’élucider et de résoudre les cas de féminisme que nous y discutions… Les explications de monsieur Jean lui-même ne me satisfaisaient pas…

Un jour, ma maîtresse m’envoya porter une lettre « urgente », à l’illustre maître. Ce fut lui qui me remit la réponse… Alors je m’enhardis à lui poser la question qui me tourmentait, en mettant, toutefois, sur le compte d’une amie, cette scabreuse et obscure histoire… M. Paul Bourget me demanda :

— Qu’est-ce que c’est que votre amie ? Une femme du peuple ?… Une pauvresse, sans doute ?…

— Une femme de chambre, comme moi, illustre maître.

M. Bourget eut une grimace supérieure, une moue de dédain. Ah sapristi ! il n’aime pas les pauvres.