Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/159

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de réception et des dîners de gala, Madame et Coco recevaient très intimement un jeune ménage très chic, avec qui ils couraient les théâtres, les petits concerts, les cabinets de restaurant, et même, dit-on, de plus mauvais lieux : l’homme très joli, efféminé, le visage presque imberbe ; la femme, une belle rousse, avec des yeux étrangement ardents, et une bouche comme je n’en ai jamais vu de plus sensuelle. On ne savait pas exactement ce que c’était que ces deux êtres-là… Quand ils dînaient, tous les quatre, il paraît que leur conversation prenait une allure si effrayante, si abominable que, bien des fois, le maître d’hôtel, qui n’était pas bégueule pourtant, eut l’envie de leur jeter les plats à la figure… Il ne doutait point du reste qu’il y eût, entre eux, des relations antinaturelles, et qu’ils fissent des fêtes pareilles à celles reproduites dans les petits livres jaunes de Madame. La chose est, sinon fréquente, du moins connue. Et les gens qui ne pratiquent point ce vice par passion, s’y adonnent par snobisme… C’est ultra-chic…

Qui donc aurait pu penser de telles horreurs de Madame, qui recevait des archevêques et des nonces du pape, et dont le Gaulois, chaque semaine, célébrait les vertus, l’élégance, la charité, les dîners smart et la fidélité aux pures traditions catholiques de la France ?…

Tout de même, ils avaient beau avoir du vice, avoir tous les vices dans cette maison-là, on y était