Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/180

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tère et que souhaita sa solitude, et, surtout, que les soins intimes et constants dont je réjouissais sa pauvre chair moribonde amenèrent pour ainsi dire automatiquement, s’était établie entre nous… J’en fus heureuse au delà de ce que je puis exprimer, et j’y gagnai de dégrossir mon esprit au contact incessant du sien.

M. Georges adorait les vers… Des heures entières, sur la terrasse, au chant de la mer, ou bien, le soir, dans sa chambre, il me demandait de lui lire des poèmes de Victor Hugo, de Baudelaire, de Verlaine, de Mæterlinck. Souvent, il fermait les yeux, restait immobile, les mains croisées sur sa poitrine, et croyant qu’il s’était endormi, je me taisais… Mais il souriait et il me disait :

— Continue, petite… Je ne dors pas… J’entends mieux ainsi ces vers… j’entends mieux ainsi ta voix… Et ta voix est charmante…

Parfois, c’est lui qui m’interrompait. Après s’être recueilli, il récitait lentement, en prolongeant les rythmes, les vers qui l’avaient le plus enthousiasmé, et il cherchait — ah ! que je l’aimais de cela ! — à m’en faire comprendre, à m’en faire sentir la beauté…

Un jour il me dit… et j’ai gardé ces paroles comme une relique :

— Ce qu’il y a de sublime, vois-tu, dans les vers, c’est qu’il n’est point besoin d’être un savant pour les comprendre et pour les aimer… au