Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/182

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osé, moi, ignorante de tout, écrire ce journal, c’est à M. Georges que je le dois…

Ah oui !… je fus heureuse… heureuse surtout de voir le gentil malade renaître peu à peu… ses chairs se regonfler et refleurir son visage, sous la poussée d’une sève neuve… heureuse de la joie, et des espérances, et des certitudes que la rapidité de cette résurrection donnait à toute la maison, dont j’étais, maintenant, la reine et la fée… On m’attribuait, on attribuait à l’intelligence de mes soins, à la vigilance de mon dévouement et, plus encore peut-être, à ma constante gaieté, à ma jeunesse pleine d’enchantements, à ma surprenante influence sur M. Georges, ce miracle incomparable… Et la pauvre grand’mère me remerciait, me comblait de reconnaissance et de bénédictions, et de cadeaux… comme une nourrice à qui l’on a confié un baby presque mort et qui, de son lait pur et sain, lui refait des organes… un sourire… une vie.

Quelquefois, oublieuse de son rang, elle me prenait les mains, les caressait, les embrassait, et, avec des larmes de bonheur, elle me disait :

— Je savais bien… moi… quand je vous ai vue… je savais bien !…

Et déjà des projets… des voyages au soleil… des campagnes pleines de roses !

— Vous ne nous quitterez plus jamais… plus jamais, mon enfant.

Son enthousiasme me gênait souvent… mais