Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/217

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à moi-même : « Prête-moi tes petits bijoux, et ta montre, pour que je les mette au clou ! » À moins que sa nouvelle condition de manifestant politique et de conspirateur royaliste ne lui ait donné des ambitions nouvelles, et qu’il ait quitté les amours de l’office, pour les amours du salon ?… Il en reviendra.

Est-ce vraiment de ma faute, ce qui m’arrive ?… Peut-être !… Et pourtant, il me semble qu’une fatalité, dont je n’ai jamais été la maîtresse, a pesé sur toute mon existence, et qu’elle a voulu que je ne demeurasse jamais, plus de six mois, dans la même place… Quand on ne me renvoyait pas, c’est moi qui partais, à bout de dégoût. C’est drôle et c’est triste… j’ai toujours eu la hâte d’être « ailleurs », une folie d’espérance dans « ces chimériques ailleurs », que je parais de la poésie vaine, du mirage illusoire des lointains… surtout depuis mon séjour à Houlgate, auprès du pauvre M. Georges… De ce séjour, il m’est resté je ne sais quelle inquiétude… je ne sais quel angoissant besoin de m’élever, sans pouvoir y atteindre, jusqu’à des idées et des formes inétreignables… Je crois bien que cette trop brusque et trop courte entrevision d’un monde, qu’il eût mieux valu que je ne connusse point, ne pouvant le connaître mieux, m’a été très funeste… Ah ! qu’elles sont décevantes ces routes vers l’inconnu !… L’on va, l’on va, et c’est toujours la même chose… Voyez cet horizon poudroyant,