Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

divans élastiques où l’on s’allonge voluptueusement sur des piles de coussins, et tous ces jolis meubles modernes, si luxueux, si riches et si gais, je me sens toute triste de la morne tristesse de ceux-là… Et j’ai peur de ne pouvoir jamais m’habituer à si peu de confortable, à un tel manque d’élégance, à tant de poussières anciennes et de formes mortes…


Madame, non plus, n’est pas habillée comme à Paris. Elle manque de chic et ignore les grandes couturières… Elle est plutôt fagotée, comme on dit. Bien qu’elle affiche une certaine prétention dans ses toilettes, elle retarde d’au moins dix ans sur la mode… Et quelle mode !… Quoique ça elle ne serait pas mal, si elle voulait ; du moins, elle ne serait pas trop mal… Son pire défaut est qu’elle n’éveille en vous aucune sympathie, qu’elle n’est femme en rien… Mais elle a des traits réguliers, de jolis cheveux naturellement blonds, et une belle peau… une peau trop fraîche, par exemple, et comme si elle souffrait d’une mauvaise maladie intérieure… Je connais ces types de femmes et je ne me trompe point à l’éclat de leur teint. C’est rose dessus, oui, et dedans, c’est pourri… Ça ne tient debout, ça ne marche, ça ne vit qu’au moyen de ceintures, de bandages hypogastriques, de pessaires, un tas d’horreurs secrètes et de mécanismes compliqués… Ce qui ne les empêche pas de faire leur