Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/307

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devant son argenterie… devant le viol de son argenterie par nos mains !… Jamais je n’ai vu dans des yeux de femme une telle cupidité agressive…

Est-ce curieux, ces gens qui cachent tout, qui enfouissent leur argent, leurs bijoux, toutes leurs richesses, tout leur bonheur, et qui, pouvant vivre dans le luxe et dans la joie, s’acharnent à vivre presque dans la gêne et dans l’ennui ?

Le travail fini, l’argenterie verrouillée pour un an dans ses caisses, et Madame enfin partie avec la certitude qu’il ne nous en est rien resté aux doigts, Joseph m’a dit d’un drôle d’air :

— C’est une très belle argenterie, vous savez, Célestine… Il y a surtout « l’huilier de Louis XVI ». Ah ! sacristi… Et ce que c’est lourd !… Tout cela vaut peut-être vingt-cinq mille francs, Célestine… peut-être plus… On ne sait pas ce que ça vaut…

Et, me regardant fixement, pesamment, jusqu’au fond de l’âme :

— Viendrez-vous avec moi, dans le petit café ?


Quel rapport peut-il bien y avoir entre l’argenterie de Madame et le petit café de Cherbourg ?… En vérité, je ne sais pas pourquoi… les moindres paroles de Joseph me font trembler…