Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/324

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Ces paroles me rendaient un peu honteuse vis-à-vis des camarades de l’office. Mais, pour me rassurer, j’aimais mieux croire que la cuisinière fût jalouse de l’évidente préférence que Madame me marquait.


J’allais, tous les matins, à neuf heures, ouvrir les rideaux et porter le thé chez M. Xavier… C’est drôle… j’entrais toujours dans sa chambre, avec un battement au cœur, une forte appréhension. Il fut longtemps, sans faire attention à moi. Je tournais de ci… je tournais de là… préparais ses affaires, sa toilette, m’efforçant à paraître gentille et dans tout mon avantage. Lui ne m’adressait la parole que pour se plaindre, d’une voix grincheuse et mal réveillée, qu’on le dérangeât trop tôt… Je fus dépitée de cette indifférence et je redoublai de coquetteries silencieuses et choisies. Je m’attendais chaque jour à quelque chose qui n’arrivait pas, et ce mutisme de M. Xavier, ce dédain pour ma personne, m’irritaient au plus haut point. Qu’aurais-je fait, si cela que j’attendais fût arrivé ?… Je ne me le demandais pas… Ce que je voulais, c’est que cela arrivât…

M. Xavier était réellement un très joli garçon, plus joli encore que ne le montrait sa photographie. Une légère moustache blonde — deux petits arcs d’or — dessinait, mieux que sur son portrait, ses lèvres dont la pulpe rouge et charnue