Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/345

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— Oui, ma chère, paraît qu’il ne vient que de chics types dans la boîte… des comtesses… des marquises… On peut tomber sur des places épatantes.

Je le croyais… Et puis, dans ma détresse, je m’étais souvenue avec attendrissement, nigaude que je suis, des années heureuses, passées chez les petites sœurs de Pont-Croix… Du reste, il fallait bien aller quelque part… Quand on n’a pas le sou, on ne fait pas la fière…

Lorsque j’arrivai là, il y avait une quarantaine de bonnes… Beaucoup venaient de très loin, de Bretagne, d’Alsace, du Midi, n’ayant encore servi nulle part, et gauches, empotées, le teint plombé, avec des mines sournoises et des yeux singuliers qui, par-dessus les murs du couvent, s’ouvraient sur le mirage de Paris, là-bas… Les autres, plus à la coule, sortaient de place, comme moi.

Les sœurs me demandèrent d’où je venais, ce que je savais faire, si j’avais de bons certificats, s’il me restait de l’argent. Je leur contai des blagues et elles m’accueillirent, sans plus de renseignements, en disant :

— Cette chère enfant !… nous lui trouverons une bonne place.

Toutes, nous étions leurs « chères enfants ». En attendant cette bonne place promise, chacune de ces chères enfants était occupée à quelque ouvrage, selon ses aptitudes. Celles-ci faisaient la cuisine et le ménage ; celles-là travaillaient au