Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/347

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rond, tout rouge, un peu rude de manières et de langage, et qui sentait le vieux mouton. Il m’adressait des questions étranges, insistait de préférence sur mes lectures.

— De l’Armand Silvestre ?… Oui… Ah !… Eh, mon Dieu ! c’est cochon sans doute… Je ne vous donne pas ça pour l’Imitation… non… Mais ça n’est pas dangereux… Ce qu’il ne faut pas lire, ce sont les livres impies… les livres contre la religion… tenez, par exemple Voltaire… Ça, jamais… Ne lisez jamais du Voltaire… c’est un péché mortel… ni du Renan… ni de l’Anatole France… Voilà qui est dangereux…

— Et Paul Bourget, mon père ?…

— Paul Bourget !… Il entre dans la bonne voie… je ne dis pas non… je ne dis pas non… Mais son catholicisme n’est pas sincère… pas encore ; du moins il est très mêlé… Ça me fait l’effet, votre Paul Bourget, d’une cuvette… oui, là… d’une cuvette où l’on s’est lavé n’importe quoi… et où nagent, parmi du poil et de la mousse de savon… les olives du Calvaire… Il faut attendre, encore… Huysmans, tenez… c’est raide… ah ! sapristi, c’est très raide… mais orthodoxe…

Et il me disait encore :

— Oui… Ah !… Vous faisiez des folies de votre corps ?… Ça n’est pas bien… Mon Dieu !… c’est toujours mal… Mais, pécher pour pécher, encore faut-il mieux pécher avec ses maîtres… quand ce sont des personnes pieuses… que toute