Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/394

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deux messieurs, morts aujourd’hui, avec qui elle avait vécu et qui lui avaient donné les fonds pour ouvrir son bureau. Son vrai nom était Joséphine Carp. Comme beaucoup de placeuses, c’était une ancienne femme de chambre. Cela se voyait d’ailleurs à toutes ses allures prétentieuses, à des manières parodiques de grande dame acquises dans le service et sous lesquelles, malgré la chaîne d’or et la robe de soie noire, transparaissait la crasse des origines inférieures. Elle se montrait insolente, c’est le cas de le dire, comme une ancienne domestique, mais cette insolence elle la réservait exclusivement pour nous seules, étant, au contraire, envers ses clientes, d’une obséquiosité servile, proportionnée à leur rang social et à leur fortune.

— Ah ! quel monde, Madame la comtesse, disait-elle, en minaudant… Des femmes de chambre de luxe, c’est-à-dire des donzelles qui ne veulent rien faire… qui ne travaillent pas, et dont je ne garantis pas l’honnêteté et la moralité… tant que vous voudrez !… Mais des femmes qui travaillent, qui cousent, qui connaissent leur métier, il n’y en a plus… je n’en ai plus… personne n’en a plus… C’est comme ça…

Son bureau était pourtant achalandé… Elle avait surtout la clientèle du quartier des Champs-Élysées, composée, en grande partie, d’étrangères et de juives… Ah ! j’en ai connu là des histoires !…