Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/40

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sieur qui les aime, lui, les parfums, ou du moins, qui aime mon parfum. Les deux coudes sur la table, indifférent en apparence, mais, dans le fond, humilié et navré, il suivait le vol d’une guêpe attardée au-dessus d’une assiette de fruits… Et c’était maintenant un silence morne dans cette salle à manger que le crépuscule venait d’envahir, et quelque chose d’inexprimablement triste, quelque chose d’indiciblement pesant tombait du plafond sur ces deux êtres, dont je me demande vraiment à quoi ils servent et ce qu’ils font sur la terre.

— La lampe, Célestine !

C’était la voix de Madame, plus aigre dans ce silence et dans cette ombre. Elle me fit sursauter…

— Vous voyez bien qu’il fait nuit… Je ne devrais pas avoir à vous demander la lampe… Que ce soit la dernière fois, n’est-ce pas ?

En allumant la lampe, cette lampe qui ne peut se réparer qu’en Angleterre, j’avais envie de crier au pauvre Monsieur :

— Attends un peu, mon gros, et ne crains rien… et ne te désole pas. Je t’en donnerai à boire et à manger des parfums que tu aimes et dont tu es si privé… Tu les respireras, je te le promets, tu les respireras à mes cheveux, à ma bouche, à ma gorge, à toute ma chair… Tous les deux, nous lui en ferons voir de joyeuses, à cette pécore… je t’en réponds !…

Et, pour matérialiser cette muette invocation,