Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/435

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pour moi, toutes les séductions de l’inconnu, toutes les attirances d’un inaccessible idéal… Et je me plus à évoquer son image… un vieillard propret, avec des mains molles, un joli sourire dans sa face rose et rasée, et gai, et généreux, et bon enfant, pas trop passionné, pas aussi maniaque que M. Rabour, se laissant conduire par moi, comme un petit chien…

— Venez ici… Allons, venez ici…

Et il venait, caressant, frétillant, avec un bon regard de soumission.

— Faites le beau, maintenant…

Il faisait le beau, si drôle, tout droit sur son derrière, et les pattes de devant battant l’air…

— Oh ! le bon toutou !

Je lui donnais du sucre… je caressais son échine soyeuse. Il ne me dégoûtait plus… et je songeais encore :

— Suis-je bête, tout de même !… Un bon chien-chien… un beau jardin… une belle maison… de l’argent, de la tranquillité, mon avenir assuré, avoir refusé tout cela !… et sans savoir pourquoi !… Et ne jamais savoir ce que je veux… et ne jamais vouloir ce que je désire !… Je me suis donnée à bien des hommes et, au fond, j’ai l’épouvante — pire que cela — le dégoût de l’homme, quand l’homme est loin de moi. Quand il est près de moi, je me laisse prendre aussi facilement qu’une poule malade… et je suis capable de toutes les folies. Je n’ai de résistance que contre les choses qui ne