Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/444

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larmes… Il n’y avait donc de joie, de tendresse, d’amour, de maternité que pour les riches ?… Les enfants s’étaient remis à jouer sur la pelouse… Elle les détesta d’une haine sauvage, elle eût voulu les injurier, les battre, les tuer… injurier et battre aussi cette femme insolente et cruelle, cette mère égoïste qui venait de prononcer des paroles abominables, des paroles qui condamnaient à ne pas naître tout ce qui dormait d’humanité future, dans son ventre de pauvresse… Mais elle se contint, et elle dit simplement, sur un nouvel avertissement, plus autoritaire que les autres :

— On fera attention, madame la comtesse… on tâchera…

— C’est cela… car je ne saurais trop vous le répéter… C’est un principe chez moi… un principe avec lequel je ne transigerai jamais…

Et elle ajouta, avec une inflexion presque caressante dans la voix :

— D’ailleurs, croyez-moi… Quand on n’est pas riche… mieux vaut ne pas avoir d’enfants…

L’homme, pour plaire à sa future maîtresse, conclut :

— Bien sûr… bien sûr… Madame la comtesse parle bien…

Mais une haine était en lui. La lueur sombre et farouche, qui passa comme un éclair dans ses yeux, démentait la servilité forcée de ces dernières paroles… La comtesse ne vit point briller cette