Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/451

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et monotones figures, tout de même, j’ai rencontrées sur ma route de servage !… Quand je les revois, par la pensée, elles ne me font pas l’effet d’être réellement vivantes. Elles ne vivent, du moins, elles ne donnent l’illusion de vivre, que par leurs vices… Enlevez-leur ces vices qui les soutiennent comme les bandelettes soutiennent les momies… et ce ne sont même plus des fantômes, ce n’est plus que de la poussière, de la cendre… de la mort…


Ah ! par exemple, c’était une fameuse maison celle où, quelques jours après avoir refusé d’aller chez le vieux monsieur de province, je fus adressée, avec toutes sortes de références admirables, par Mme  Paulhat-Durand. Des maîtres tout jeunes, sans bêtes ni enfants, un intérieur mal tenu, sous le chic apparent des meubles et la lourde somptuosité des décors… Du luxe et plus encore de coulage… Un simple coup d’œil en entrant et j’avais vu tout cela… j’avais vu, parfaitement vu, à qui j’avais affaire. C’était le rêve, quoi ! J’allais donc oublier là toutes mes misères, et M. Xavier que j’avais souvent encore dans la peau, la petite canaille… et les bonnes sœurs de Neuilly… et les stations crevantes dans l’antichambre du bureau de placement, et les longs jours d’angoisse et les longues nuits de solitude ou de crapule…

J’allais donc m’arranger une existence douce, de travail facile et de profits certains. Tout heureuse