Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/473

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petits bourgeois. La vérité est que Madame n’avait pas réussi dans le monde, et que ses manières lui avaient valu pas mal d’avanies. Elle en voulait à Monsieur de n’avoir pas su l’imposer, et Monsieur en voulait à Madame de l’avoir rendu ridicule devant ses amis. Ils ne s’avouaient pas l’amertume de leurs sentiments, et trouvaient plus simple de mettre leurs zizanies sur le compte de l’amour.

Chaque année, au milieu de juin, on partait pour la campagne, en Touraine, où Madame possédait, paraît-il, un magnifique château. Le personnel s’y renforçait d’un cocher, de deux jardiniers, d’une seconde femme de chambre, de femmes de basse-cour. Il y avait des vaches, des paons, des poules, des lapins… Quel bonheur ! William me contait les détails de leur existence, là-bas, avec une mauvaise humeur acre et bougonnante. Il n’aimait point la campagne ; il s’ennuyait au milieu des prairies, des arbres et des fleurs… La nature ne lui était supportable qu’avec des bars, des champs de courses, des bookmakers et des jockeys. Il était exclusivement Parisien.

— Connais-tu rien de plus bête qu’un marronnier ? me disait-il souvent. Voyons… Edgar, qui est un homme chic, un homme supérieur, est-ce qu’il aime la campagne, lui ?…

Je m’exaltais :

— Ah, les fleurs, pourtant, dans les grandes pelouses… Et les petits oiseaux !…