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Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/66

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Madame s’imagine que je voudrais faire de la peine à Madame ?…

— Il faudrait me le dire… suppliait-elle… Vous êtes une belle fille… Vos yeux sont si amoureux… vous devez avoir un si beau corps !…

Elle m’obligeait à lui tâter les mollets, la poitrine, les bras, les hanches. Elle comparait les parties de son corps aux parties correspondantes du mien, avec un tel oubli de toute pudeur que, gênée, rougissante, je me demandais si cela n’était pas un truc de la part de Madame et si, sous cette affliction de femme délaissée, elle ne cachait point l’arrière-pensée d’un désir pour moi… Et elle ne cessait de gémir.

— Mon Dieu ! mon Dieu !… Pourtant… voyons… je ne suis pas une vieille femme… Et je ne suis pas laide… N’est-ce pas que je n’ai point un gros ventre ?… N’est-ce pas que mes chairs sont fermes et douces ?… Et j’ai tant d’amour… si vous saviez… tant d’amour au cœur !…

Souvent, elle éclatait en sanglots, se jetait sur le divan et la tête enfouie dans un coussin, pour étouffer ses larmes, elle bégayait :

— Ah ! n’aimez jamais, Célestine… n’aimez jamais… On est trop… trop… trop malheureuse !

Une fois qu’elle pleurait plus fort qu’à l’ordinaire, j’affirmai brusquement :

— Moi, à la place de Madame, je prendrais un amant… Madame est une trop belle femme pour rester comme ça…