Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/85

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— Bien sûr qu’ils peuvent aller où ils veulent.

À quoi Mme  Gouin, s’adressant plus particulièrement à Rose, ajoute d’un ton ferme :

— On ne court pas après, dites, mam’zelle Rose ?… Dieu merci, on n’a pas besoin d’eux, n’est-ce pas ?

Rose se contente de hausser les épaules et de mettre dans ce geste tout ce qu’il y a en elle de fiel concentré, de rancunes et de mépris… Et l’énorme chapeau mousquetaire, par le mouvement désordonné des plumes noires, accentue l’énergie de ces sentiments violents.

Puis, après un silence :

— Tenez !… Parlons point de ces gens-là… Chaque fois que j’en parle, j’ai mal au ventre…

Une petite noiraude, maigre, avec un museau de rat, un front fleuri de boutons et des yeux qui suintent, s’écrie au milieu des rires :

— Pour sûr, qu’on les a quelque part…

Là-dessus, les histoires, les potins recommencent… C’est un flot ininterrompu d’ordures vomies par ces tristes bouches, comme d’un égout… Il semble que l’arrière-boutique en est empestée… Je ressens une impression d’autant plus pénible que la pièce où nous sommes est sombre et que les figures y prennent des déformations fantastiques… Elle n’est éclairée, cette pièce, que par une étroite fenêtre qui s’ouvre sur une cour crasseuse, humide, une sorte de puits formé par des murs que ronge la lèpre des mous-