Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/111

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Tous ils disent la même chose, avec plus ou moins de candeur, avec plus ou moins de férocité. Et leurs figures prennent une étrange ampleur tragique, par le contraste douloureux et pittoresque des misères, des abjections humaines que sut, très habilement, sans exagération, ni déclamation, ménager, tout au long de son impressionnant livre, M. Jules Huret. Et telle apparaît la physionomie de M. Henry Schneider, si combative, si impérieuse, si tranchante, un peu sinistre, vraiment, sur ce fond infernal du Creusot, où, dans les fumées et les flammes, l’on voit des troupeaux d’hommes s’agiter, suer, ahaner sous l’effort, brûler leurs faces maigres à la gueule des fours, tordre leurs bras sur les barres rougies, chercher vainement parmi les vapeurs sulfureuses, à travers l’atmosphère toxique, un peu d’air respirable pour leurs poitrines rongées de poisons.

Et ils ne voient rien, n’entendent rien, ne comprennent rien à ce qui gronde dans les profondeurs du corps social. Leur sécurité si aveugle a quelque chose qui étonne et qui irrite. L’anarchisme, le socialisme, le féminisme, l’antisémitisme, toutes les formes préparatoires de l’inéluctable révolution, autant d’accidents négligeables, et qui ne signifient rien, et dont il faut rire.

Ah ! il eût été curieux que quelqu’un, avant 89, eût eu, comme M. Jules Huret, l’idée d’interroger les importants personnages de l’époque,