Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/132

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aux permanentes guillotines. Je l’aimais infiniment. Et, dans tout Génézareth-sur-Mer, il n’y avait qu’un cri : « Quel charmant garçon ! » Oh ! sa conversation sur la plage, à l’heure du bain !… Il nous enchantait, nous enthousiasmait par son érudition littéraire, si vaste et toujours prête… avec quel art élégant et parfumé il savait remuer, attifer, pomponner les jolis souvenirs, sur les femmes et l’amour, au dix-huitième siècle !… Et quelle forte saveur — à la Plutarque, ma foi ! — dans les portraits qu’il nous traçait de Gambetta, inépuisablement !… Une matinée qu’il pleuvait, et que nous étions réunis chez lui, à regarder la mer, à regarder la pluie tomber sur la mer, il me donna, avec une bonne grâce parfaite, non moins qu’avec une évidente sincérité, la raison de cette transformation qui me ravissait.

— Vous comprenez bien, mon cher, me dit-il, je suis tenu à beaucoup de réserve, beaucoup de ménagements, beaucoup de souplesse morale… Je dois sourire à droite, à gauche, devant, derrière… Et la littérature m’est un merveilleux moyen de dépister la malignité des gens. Donc, tant que cette désastreuse affaire de Panama ne sera pas réglée et enterrée définitivement, je suis obligé d’être exclusivement anecdotique et littéraire !… Certes, en tout ceci, mes mains sont nettes… Je n’ai rien à craindre… et personne ne m’accuse !… Oui, mais c’est mon nom… mon sacré nom !… Ah ! si je pouvais