Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/151

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de coteries qui rendent quelquefois si agaçante, malgré tout le talent dépensé, la lecture de ces périodiques. Il était trop compréhensif pour cela ; et sa sévérité, dont il ne faut pas le blâmer, lui venait de sa haute conception de l’œuvre d’art, et de son désir vers le mieux et vers le beau. Ce qui m’enchantait, en ses essais de critique, et en ses contes, et ce qui était alors très rare chez un jeune homme, c’est qu’il avait l’esprit ouvert à la vie, et qu’il répudiait les nébulosités et les approximations vagues des esthétiques et des réalisations symbolistes ; j’étais donc curieux de voir comment M. Lucien Muhlfeld appliquerait ses qualités au roman.

Je l’ai vu. Si le Mauvais désir n’est point un chef-d’œuvre en soi, c’est un fort beau livre et qui tranche vivement sur la monotonie des œuvres courantes, un des deux ou trois livres qui méritent de passionner et de retenir le lecteur dans la production d’une année.

Style bref, nerveux et rapide, parfois d’une concision âpre qui ramasse toute la pensée dans un trait, parfois d’une grâce sans mièvrerie, coloré sans empâtement, riche sans clinquant, ferme toujours, et bien construit, il exprime les personnages et les choses avec une admirable netteté d’accent. Chez M. Lucien Muhlfeld, comme chez M. Anatole France, le vocabulaire n’est pas nombreux, mais il dit tout, sans redites, et, chaque fois avec une étonnante variété. La vision est exacte, la compréhension