Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/19

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quatre ou cinq fois l’an. On les dirige, en chemin de fer ou par bateau, jusqu’à Tomsk. De là, ils rayonnent, dans la direction de la résidence qui leur est assignée, les détenus ordinaires à pied, les exilés politiques en télégas, le long de routes à peine tracées ou défoncées, sous le soleil torride et dans la froidure mortelle, tour à tour, et si lentement qu’il leur est impossible d’avancer de plus de quatre-vingt-quinze kilomètres par semaine. Il y a des voyages qui durent seize mois, car il y a des résidences éloignées de la métropole de dix mille kilomètres. On a peine à se figurer les douleurs de ce long calvaire. Il n’est pas rare que les détenus meurent en route de chaleur, de froid, de privations, d’épuisement, de maladies contagieuses gagnées dans les prisons-étapes, indicibles taudis où séjournent et pullulent les germes de toutes les infections asiatiques. Quelques-uns arrivent fous, qui étaient partis le cerveau solide. D’autres, à bout de courage, se tuent.

M. Keunan assista à l’arrivée, dans une résidence, d’un convoi de prisonniers. Un officier fit l’appel. Quelques noms manquaient.

— Mort ! disaient les compagnons d’infortunes.

À l’appel du nom de Victor Sidorski, personne ne répondit.

— Pourquoi ne réponds-tu ? dit l’officier en s’adressant à l’un des prisonniers. N’es-tu pas Victor Sidorski ?