Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/26

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après. J’eus la joie de n’apercevoir sur son énergique visage et dans son regard résolu pas une ombre de dégoût, pas un signe d’abattement. Rien ne s’était altéré de sa bonne humeur si entraînante, de sa gaîté saine ; rien n’avait faibli de ses ardents et robustes enthousiasmes qui, toujours, aux heures lourdes, le préservèrent des mauvaises suggestions du dégoût. L’événement accompli, ayant fait un violent rétablissement sur soi-même, Clémenceau ne songeait déjà plus à ces terribles journées qu’il venait de traverser, ni à l’ingratitude humaine, dont il avait, vraiment, on peut le dire, connu le fond jusqu’à la vase. Et comme autrefois, avec quelque chose de plus pénétrant peut-être qu’autrefois, il nous enchanta, durant cette après-midi, de causeries intimes et charmantes, de la merveilleuse lucidité de son esprit si grandement ouvert à toutes les compréhensions, à toutes les beautés de l’art, de la philosophie et de la vie.

Ce jour-là, mon cher Geffroy, je fus presque tenté de remercier la haine imbécile qui croyait avoir abattu cet homme de nous le rendre plus libre avec des forces nouvelles ignorées de lui, peut-être, senties de nous, sûrement. Car nous avions compris que cet échec apparent n’était, au fond, qu’une délivrance, qu’il aboutissait à quelque chose de beau, et que, si nous perdions un député, nous gagnions un admirable écrivain.