Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/38

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fante, qui me forçait à fermer les yeux aussitôt que je les voulais rouvrir. Et je me rendormais oppressé dans un cauchemar, par une fleur gigantesque qui se posait sur moi et, m’enlaçant de ses pétales humides, me suçait, m’avalait, tenace et dure, placide et sans bruit. »

Après trois ans de cette existence, Knut Hamsun partit pour l’Amérique, où, sans ressource, sans appui, sans relation, il se fit ouvrier. Durant trois ans, encore, il travailla la terre, gagnant à peine sa vie, réduit aux privations, mais n’en souffrant pas, car il avait acquis une force d’endurance extraordinaire. Alors, il rêva de retourner en Norvège. Mais comment faire ? Il n’avait pas d’économie, pas d’argent pour payer son voyage, et il était trop fier pour solliciter son rapatriement. D’ailleurs, il n’y songea pas, sans doute. Il put, enfin, se faire accepter comme conducteur de sleeping-car, sur une des grandes lignes d’Amérique. Nourri, logé, suffisamment payé, il put, au bout de quatre ans, réunir des économies assez notables pour entreprendre son voyage de retour et se mettre au travail littéraire dont il avait toujours, en soi, gardé la passion.

Mais quelque temps après son arrivée en Norvège, il fut obligé, je ne sais pour quelle raison, de s’expatrier de nouveau. Et il se réfugia à Paris, où, seul, pauvre, ignoré de tous, il poursuit avec acharnement une des plus belles œuvres de ce temps.