Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/58

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M. René Barjean, vivement, prit, sur la table, un petit gendelettre de plomb, qu’il fit tourner entre ses doigts, avec une surprenante habileté :

— Tenez !… voici X… Sa réputation est universelle… Je puis même affirmer qu’il est absolument illustre… Or, vous m’accorderez que son illustration qui est immense, n’est pas du tout en rapport avec son œuvre qui est immense aussi, mais immensément piteuse… Eh bien ! je suis sûr ; je lis dans vos yeux que vous trouvez cela injuste, ou que vous expliquez l’énormité de cette contradiction par un mot fataliste, et qui n’a pas plus de sens que la chose qu’il exprime : la chance !

— Certes ! déclarai-je.

— En quoi vous avez le plus grand tort, et vous montrez — excusez ma hardiesse — un psychologue inférieur. Là où vous proclamez : Injustice ! moi je réponds : Récompense ! Là où vous vous écriez : Chance ! moi, je réplique : Volonté !… Voyons, monsieur, avez-vous réfléchi, une minute, au persistant et terrible effort de X… vers la renommée et le succès ?… Savez-vous ce que sa gloire représente d’ingéniosité roublarde, de canailleries effrontées ou hypocrites, de cynisme réclamier, de génie de l’intrigue ?… Avez-vous calculé ce qu’il dut dépenser de bassesses, de trahisons, de férocités carnassières ?… Ç’a été un travail de toutes les minutes, une héroïque tension, une activité prodigieuse de tous ses mauvais instincts…