Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/82

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penserait aujourd’hui ?… Diplomate, homme politique, écrivain et vicomte comme moi, on peut dire qu’il eut de la chance de renaître en ce rapprochement… Ma célébrité rajeunit la sienne, la corrobore, la continue… ou la recommence, à votre choix… Mais Chateaubriand a, sur moi, cette infériorité de n’avoir pas connu Dostoïewski — ce qui est son crime, et ce qui est son châtiment, de ne pas s’être appelé : Melchior, qui est un nom magique, ainsi que vous le savez, et, par conséquent, prédestiné… — Sans doute, il ne s’appela pas Melchior… et Mme Récamier dut le regretter vivement… Toutefois, il écrivit beaucoup de belles œuvres !…

Moi, monsieur, je ne les écris pas… je les pense… Avouez que c’est quelque chose de plus rare et de plus élégant !… Entre nous, Chateaubriand avait trop de facilité, trop d’abondance… Il écrivait un peu à tort et à travers… Je n’aime pas la fécondité… elle a je ne sais quoi de vulgaire et qui manque de race… Moi, il me faut deux mois pour faire un article au Figaro… un mois pour le penser, un mois pour l’écrire… Et ma supériorité est en ceci qu’il n’y a rien dans mes articles… Vous pouvez taper sur mes articles… Ils sonnent le vide comme un tambour… mais ils sonnent… Et voilà ce que c’est que le sublime !…

M. Melchior de Voguë commençait à me fatiguer, avec son sublime. Je détournai la conversation.