Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/84

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— Et comme Dieu aussi, sans doute !

— Comme Dieu également, j’y avais tous les titres… J’ai encore un autre rôle à l’Académie, celui de veiller, jalousement, à ce qu’aucun grand littérateur n’y pénètre. Et lorsque j’écris sous la forme légère et charmante que vous me connaissez, que j’eusse voté pour Napoléon Bonaparte, bien qu’il fût de mauvais ton avec les femmes et les papes, c’est encore un de ces tours que me joue mon ironie de cent vingt mille kilos, car je vote toujours, et toujours je voterai pour M. Costa de Beauregard.

— Votre rôle à la Chambre, monsieur le vicomte ?

— Encore mon ironie ! En ai-je fait naître, des espoirs !… On allait partout disant : « Enfin, nous allons donc avoir un homme, un grand homme ! » Je devais remplacer Lamartine à la tribune, comme j’avais remplacé Chateaubriand dans la littérature. Les partis s’agitaient… Les ministères étaient pleins d’angoisse !… Quelque chose surgirait de moi, qui était une beauté !… Eh bien, non !… Je décidai que le silence convenait mieux à ma nature de penseur sublime, et que ce que j’aurais pu dire, il était de meilleur ton, et plus éloquent de le penser !… D’ailleurs, les discours ne s’improvisent pas. Si, pénible écrivain, un article de journal exige deux mois de mon travail obstiné, je calculai, orateur laborieux, qu’un discours pour la Chambre, me demanderait au moins six mois… Et puis,