Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/97

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la puissante machine de son cerveau, la maintiennent, constamment, à la plus haute pression, et elles le mènent, l’emportent, par fortes secousses, avec d’étranges trépidations, sur les sommets où rayonne la lumière divine de l’enthousiasme. Ardent jusqu’à la brutalité, passionné jusqu’à la fureur, il est inquiet aussi, jusqu’à la souffrance, devant tout ce que révèle d’inexpliqué la destinée humaine et la mystérieuse nature, sous sa double et même face de vie et de mort. Semblable au Guillaume Harlon de Suzanne, il est ce « nerveux que son cerveau dévore en l’exaltant, attaché à sa moelle par des liens de braise ».

Un des traits de son tempérament d’artiste et que j’aime, parce qu’il est rare, est une sorte de logique violente et passionnée qui l’entraîne à mener jusqu’au bout, même à travers les dangers les plus certains, ses idées, et ses images. Jamais un atermoiement, jamais une réticence. Il va son chemin, bravement et tout droit, jusqu’à ce qu’il arrive. Et il arrive toujours. D’aucuns lui reprochèrent, par exemple, dans les Morticoles, la scène du Lèchement de pieds. Moi je trouve admirable et supérieur que M. Léon Daudet n’ait pas reculé devant l’entière réalisation de cet écœurant et périlleux symbole. Et parce qu’elle fut entière, cette réalisation, parce qu’aucun hideux et repoussant détail n’y fut épargné, l’écrivain est parvenu à une beauté,