Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Flaubert]]. Il me semble qu’ils n’en ont point parlé, comme ils auraient pu, comme ils auraient dû le faire, et cela m’attriste un peu. Il eût été beau, cependant, de voir les Goncourt, devançant la postérité, bâtir à ce « grand bonhomme » devenu par la mort leur grand aïeul, le monument de gloire qu’il attend encore et que d’autres bâtiront qui ne furent pas connus et aimés de lui.

Ces réserves faites, j’ai entendu, au cours de ce livre qui remue tant d’hommes et secoue tant d’idées, qui dévoile tant d’intimités, qui brave tant de confidences et ramasse tant d’indiscrétions, qui a très souvent la gaillardise et l’irrespect des mémoires secrets, j’ai entendu comme un écho précurseur de la postérité. À coup sûr, ce n’en était pas la voix grave, dictant par la classique bouche d’airain les solennels arrêts et les jugements implacables : c’en était en quelque sorte le vagissement. Mais ce vagissement de l’histoire littéraire contemporaine, je l’écoute et je le retiens, car ce qu’il exprime sur certains hommes correspond trop exactement avec ce que beaucoup sentaient depuis longtemps et n’osaient formuler. Mille personnages défilent devant nous, les uns célèbres, les autres déjà oubliés, presque tous restitués dans une habileté surprenante de notation, avec leurs tics, leurs manies, leurs gestes, leur pensée nue et un peu du mystère de leur âme. Quelles vanités, si solides soient-elles, résisteraient à la féroce franchise de ces constatations ?