Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/122

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d’âme qu’il avait, lui, et qu’on n’est pas habitué à rencontrer chez nos critiques, lesquels, devant les hommes, valsent en habits légers de danseur, ou pataugent en lourds sabots de paysan.

Je ne puis me rappeler, sans un serrement de cœur, les confidences qu’Émile Hennequin me faisait parfois de ses projets. Il me disait qu’un écrivain ne devrait accomplir qu’une œuvre unique, concentrer en elle toutes ses forces, y consacrer toute sa vie, trop courte déjà, trop embarrassée par les difficultés ambiantes, pour qu’il fût possible de suivre plusieurs rêves ensemble. Et son rêve à lui était grandiose. Il embrassait le siècle tout entier. Hennequin voulait écrire l’histoire du dix-neuvième siècle, non point l’histoire telle que l’entendent les professeurs, bornée aux faits politiques, circonscrite aux évolutions militaires, mais l’histoire des cerveaux et des âmes, l’histoire des aspirations spirituelles et des conquêtes morales, personnifiées dans les hommes qui, depuis Napoléon jusqu’à Gambetta, représentent ce siècle, dans toutes les manifestations de l’esprit humain et les avancements de la marche sociale. Et je veux appliquer à cette œuvre, qu’il était de taille à mener glorieusement, pour laquelle il s’armait, se préparait chaque jour, ce que lui-même disait à propos de l’œuvre « idéale » dont il traçait à grands traits, dans son livre, la sublime esquisse. « La critique scientifique des œuvres d’art, par un système