Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/14

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compter les battements du cœur de Paris au pouls de Mme Sarah Bernhardt et, si Paris fait des révolutions, c’est que Sarah Bernhardt a ses nerfs. Paris profite de tout, du moindre événement domestique, du plus banal incident de sa vie pour revenir à elle : c’est une vente annoncée et qui naturellement n’a pas lieu, c’est un engagement qu’elle n’a pas tenu, un théâtre qu’elle n’a pas acheté ; c’est n’importe quoi : un chien qu’elle a perdu, un poète qui l’a quittée. Chose surprenante, ce poète qui a du talent, qui est Touranien, par-dessus le marché, qui fait la réclame aussi bien que les vers, qui a publié des romans, des drames, des tragédies, des poèmes, n’a lui-même conquis la population que du jour où l’on apprit qu’il avait mis sa muse aux pieds de Sarah Bernhardt, et parce qu’il la reprend, cette muse, cette popularité devient presque de l’illustration. Là-dessus, de toutes parts, l’on chronique ; les articles surgissent, les sonnets aussi, et, comme la langue française paraît indigne de sujets si parisiens, les langues mortes ressuscitent pour chanter le triste abandon de l’une et la liberté retrouvée de l’autre… Et l’on voit, sur la jetée du Havre, Calypso accoudée et qui pleure ; là-bas, des falaises qui se dressent toutes grises ; l’horizon brumeux, la mer bouillonnante, une barque qui emporte Ulysse vers Terre-Neuve, et la blanche voile qui fuit, sous la brise, fuit et disparaît… tout cela est grec ! « Ô Athéniens de Chaillot ! Tas de polichinelles ! » dit le monsieur