Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/196

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beaucoup… Et c’est là qu’il habitait ? … Vous êtes sûr ?

— Si je suis sûr ? … Non, mais elle est forte, celle-là… Puisque nous étions des amis… que je le voyais tous les jours.

Il ajouta, d’une voix devenue tout à coup triste :

— Il est mort il y a déjà quelque temps, le pauvre cher monsieur… Et c’est grand dommage, allez… Parce que c’était un bien brave homme… et simple… et doux avec tout le monde… En voilà un, par exemple, qui n’était pas fier.

Longuement, en phrases prolixes et cent fois redites, il me cita des traits admirables de l’existence campagnarde de M. Caro… Hormis les heures consacrées au travail intellectuel, il aimait à se mêler aux petits, aux malheureux… Bien souvent, sur la berge du fleuve, il s’asseyait près d’un pêcheur et, durant des demi-journées, il causait avec lui de choses naïves, en suivant le bouchon immobile sur la nappe tranquille des eaux… Ou bien il allait par les champs, s’intéressant aux cultures, s’enquérant de la santé des vaches, de la prospérité des pommiers… Ou bien encore, en manches de chemise, et son chef de philosophe couvert d’un large chapeau de jonc, tout roussi de soleil, il sarclait les mauvaises herbes dans son jardin, et repiquait des laitues, loin, ah ! si loin de Feuerbach, de Büchner, de Darwin, de Spencer, de leurs doctrines désolées et barbares.